mercredi 23 mai 2012

Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux…


atrabilaire : (adj.) qui a rapport à l’atrabile, ou bile noire. Coléreux.

Parfois j’ai l’impression que la vie met sur mon chemin de petits indices tout pile au bon moment pour relancer mon chemin de réflexion.
Voila comment en accompagnant super-mamie aux Emmaüs pour sa rafle mensuelle de romans d’amour bons marchés, je suis ressortie, moi, avec Le Misanthrope de Molière (édition commentée par G. Gengembre chez Classiques Larousse ; je précise parce que je vais beaucoup citer ce gentil monsieur même s’il a un nom ridicule).
Avant ça je l’avoue, bien que connaissant la pièce de nom j’aurai été bien incapable d’en développer le propos. La misanthropie, par opposition à la philanthropie, consiste en la haine du genre humain.
Cette pièce de théâtre présente donc un héro du nom d’Alceste qui faisant partie du noble monde passe la pièce dans la souffrance de l’hypocrisie mondaine.
Eh bien je dois dire que je n’arrive pas à trouver cet homme « comique ». Pourtant c’est bien lui qui fait de la pièce une comédie. Je ne le trouve pas comique parce que je suis lui. Je ressens sa souffrance. C’est cette vision du monde que je ne peux plus supporter pendant mes « crises ». Reste à trouver une vidéo de la pièce pour voir si la gestuelle mais en relief le « comique » du texte….

L’acte I Scène 1 s’ouvre sur un tête-à-tête entre Alceste et Philinte. Alceste reproche ardemment à son ami d’avoir fait des ronds de jambes hypocrites à quelque marquis dont il ne se rappelait même pas le nom… Philinte bien que compréhensif s’évertue à montrer l’impasse sociale dans laquelle s’évertue Alceste. Tout au long de la pièce le héro se fait en effet traiter de diable ridicule par tous et doit sans cesse se justifier de ses colères… en poussant d’autres colères…
« Le ciel ne m’a point fait, en me donnant le jour,
Une âme compatible avec l’air de la cour.
Je ne me trouve point les vertus nécessaires
Pour y bien réussir et faire mes affaires.
Etre franc et sincère est mon plus grand talent,
Je ne sais point jouer les hommes en parlant. »      Alceste, Acte III Scène 5

Alceste un misanthrope ?
Selon l’explication de texte, de grands auteurs antiques ont déjà fait cas de misanthropes mais l’histoire garderait principalement Alceste en tête de liste. Cependant sa définition comme misanthrope est controversée. Rousseau, Diderot, Voltaire, et bien d’autres y sont tous allés de leurs commentaires. Je cite ici Jean Jacques Rousseau qui rejoint parfaitement ma pensée.
« Vous ne sauriez me nier deux choses : l’une, qu’Alceste, dans cette pièce, est un homme droit, sincère, estimable, un véritable homme de bien ; l’autre, que l’auteur lui donne un personnage ridicule. […] Qu’est-ce donc que le misanthrope de Molière ? Un homme de bien qui déteste les mœurs de son siècle et la méchanceté de ses contemporains ; qui, précisément parce qu’il aime ses semblables, hait en eux les maux qu’ils se font réciproquement et les vices dont ces maux sont l’ouvrage. S’il était moins touché des erreurs de l’humanité, moins indigné des iniquités qu’il voit, serait-il plus humain lui-même ? »      J.J. Rousseau, 1758.
Fabre d’Eglantine (1750-1794 ; un sombre inconnu pour moi) s’est amusé à écrire « Le Philinte de Molière ou la Suite du Misanthrope » dans laquelle Alceste devient un généreux tribun alors que Philinte est dénaturé, égoïste au cœur sec et aux vues étroites.
Le cœur d’Alceste y est définit comme suit :
« Qu’il regrette mon cœur, et se souvienne bien
Que tous les sentiments dont la noble alliance
Compose la vertu, l’honneur, la bienfaisance,
L’équité, la candeur, l’amour, et l’amitié,
N’existèrent jamais dans un cœur sans pitié. »      Alceste, Acte V Scène 3

Alceste et la tyrannie du nombre.
p. 168 Aimer les hommes, c’est vouloir les changer ; vouloir les changer, c’est aller à contre-courant ; aller à contre-courant, c’est ne pas les aimer. La singularité a des conséquences politiques (dans le sens social).
p. 12 La hiérarchisation, portée à son comble par l’absolutisme, implique des règles chargées de maintenir cet ordre et de distinguer ceux qui y adhèrent le plus complètement. Celui qui refuse le jeu des apparences, fondé sur l’hypocrisie et la dissimulation, est doublement coupable : il manifeste son incapacité à s’adapter aux exigences de la collectivité ; il remet en cause l’idéologie fondatrice. Dénonciateur, il doit être dénoncé. Renvoyant aux autres leur propre image, la dévalorisant, il se rend insupportable. On l’enferme dès lors dans sa marginalité, quitte à la baptiser maladie.
p. 195 Alceste renvoie aux autres la crue et intolérable image de leur propre égocentrisme. On met toujours à mort celui qui dévoile la nudité du roi.
p. 180 Tout s’oppose au vœu tyrannique d’Alceste. Tout et tous s’échappent. Les événements extérieurs, à l’instar d’autrui, manifestent la résistance du réel à la volonté déréglée d’Alceste. Autrui refuse de se plier à une exigence contre-nature : se faire autre qu’il n’est. Alceste se heurte constamment à la force des choses et des êtres.

Alceste et l’amour.
Dans la pièce Alceste est l’amant de la coquette Célimène. Un amour jugé improbable par le lecteur dès le début tant Célimène correspond en tout point à ce qu’Alceste déteste.
p. 193 L’ambiguïté réside dans la contradiction entre ce dictateur moral et la force de sa passion pour ce qui lui est le plus opposé. Son amour terrifie. Ce n’est pas Célimène qu’il aime, mais l’image qu’il s’en fait.
p. 182 L’amour d’Alceste pour Célimène est assuré d’occasionner la plus grande attraction, la plus grande douleur, la plus grande haine. Il retient provisoirement Alceste dans le monde et radicalise sa misanthropie à la fois.
p. 180 Les péripéties de la pièce amènent Alceste à ne voir en Célimène que l’exacte inversion de ce qu’il voulait qu’elle soit : se prépare alors le retournement attendu de l’amour exclusif en haine absolue. Sa création, doublement fantasmatique (la Célimène rêvée, la Célimène haïe), lui échappe forcément. Il reste seul avec sa détestation universelle.
p. 193 Ce n’est pas aveuglément que cette passion, car Alceste annonce très tôt l’inéluctable aboutissement. Il s’agit d’une projection sentimentale, d’une volonté tyrannique et d’une quête désespérée du bonheur.
p. 194 Il prétend exercer une domination exclusive sur l’autre. A moins qu’il ne veuille s’aimer lui-même dans un être qui lui devrait tout, et jusqu’à l’existence ?

L’être et le paraitre, une histoire de masque.
            p. 193 Plus qu’inapplicable, l’idéal d’Alceste contrevient aux conditions mêmes de la vie sociale.
p. 180 Le Misanthrope expose à la fois le fondement du pacte social et sa précarité. Chacun est jugé selon l’adéquation entre son moi et l’image qu’il en donne. « Etre » se résout en une action continue pour que coïncident la satisfaction personnelle et la reconnaissance approbatrice d’autrui.
                p. 194 Alceste ne s’installe pas dans la convention des masques, ou plutôt il identifie totalement son apparence avec son être, et révèle ainsi un être totalement irrécupérable selon les normes sociales.
                p. 198 Quelle est la sincérité de Philinte ? Apologie du compromis, conformité tranquille aux règles, participation discrète à la parade : le « philosophe » est un adepte résolu du masque. C’est lui qui le porte le mieux. Personnage lisse, sans passion, il apporte dans la comédie son honnête médiocrité, qui semble plus le caractériser que l’honnêteté entendue comme système de qualités et de vertus.

La fin d’un Alceste.
« Non, je tombe d’accord de tout ce qui vous plaît :
Tout marche par cabale et par pur intérêt ;
Ce n’est plus que la ruse aujourd’hui qui l’emporte,
Et les hommes devraient être faits d’autre sorte ;
Mais est-ce une raison que leur peu d’équité
Pour vouloir se tirer de leur société ? »      Philinte Acte V Scène 1

« Trahi de toutes parts, accablé d’injustices,
Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices,
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d’être un homme d’honneur on ait la liberté. »      Alceste Acte V Scène 4

Si l’ont en croit l’explication de texte, l’un des enjeux de la pièce pour le metteur en scène est de garder sur scène un héro qui ne pense qu’à fuir le monde au profit « d’un désert ».
Dans ce cas, il est entendu : le désert mondain à savoir, la campagne. A l’heure actuelle, où même la campagne ne signifie plus isolement, je pense que la fuite prendrait un tout autre sens pour Alceste (auto-destruction : d épendances, suicide…).

Pour finir…
Je suis née dans une famille de Philintes. Mon père et moi sommes des Alcestes…
Lisez Le misanthrope (qui n’en est pas un au final) et/ou en règle générale les écrits de Molière qui présentent une impressionnante intemporalité…
p. 11 Au moment de l’écriture du Misanthrope, Molière a 42 ans. Des cabales politico-religieuses se déchainent à son encontre. S’ajoutent à cela une brouille avec Racine, la mésentente conjugale, et la maladie. A la fin de 1665, Molière est un homme à bout : il devient « hypocondre » ou « atrabilaire ». Sans doute dirions-nous aujourd’hui « déprimé »…

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